Il faut retrouver un consensus entre parents et enseignants du français. Cet « adoubement » mutuel est nécessaire pour » soigner » la perte de confiance qui a éloigné nombre d’élèves et leur a fait perdre pied dans ce domaine de la langue française. J’ai pu constater au cours de mes années de pratique d’enseignement, qu’en neuf années de scolarité, du CP à la Troisième, les élèves retiennent très peu de notions de grammaire, pour ne pas dire aucune. Quand ils arrivent en sixième, ils ont à la rigueur une idée de ce que l’on appelle « les groupes » : groupe nominal, groupe verbal. En revanche, dire ce qu’il y a à l’intérieur de ces groupes leur est absolument impossible. Comme des naufragés, ils se cramponnent au concept, et tout fonctionne comme si cette acquisition bloquait absolument toutes les autres. Il faudra attendre le lycée ou plus tard pour que, libérés de ce blocage psychologique, ils se motivent à apprendre simplement comme on apprend une langue étrangère, sans se poser trop de questions !
Ce blocage est le résultat de l’introduction des méthodes « rhétoriques », « structuralistes» et « formalistes », application des recherches de linguistes à l’enseignement de la grammaire, il y a plus de 30 ans. Il fallait alors réinventer, et rejeter la grammaire traditionnelle dite « normative » qui s’appuie sur des conventions, un Bon Usage, pour reprendre le titre d’une célèbre grammaire. Le paradoxe est qu’il a fallu introduire un vocabulaire nouveau aussi indigeste que celui de l’ancienne grammaire, qui s’est révélé à l’usage moins bien digéré.
En grammaire, la plupart des notions sont apprises par réflexe. A un enfant qui étudie le piano, s’il demande à son professeur: « Et pourquoi je mets ma main là etpourquoi je bouge mon petit doigt dans ce sens et pas dans l’autre ? », le professeur après quelques explications, finira par lui dire : « Bon, écoute maintenant, fais ce que l’on te dit. » C’est pareil pour la grammaire: par moments, il ne s’agit pas de tout comprendre, mais bien d’apprendre d’abord.
La deuxième conséquence de cette nouvelle approche de la grammaire a concerné les parents.
Le but poursuivi par la réforme post 68 était de mettre les familles à égalité. Ce fut réussi: plus personne n’y a plus rien compris.Les parents ne se retrouvaient pas et ne se retrouvent toujours pas dans les termes de la nouvelle grammaire. Il suffit d’aborder le sujet pour en avoir la mesure : émetteur, récepteur, types de phrase (tout est en effet mélangé dans les grammaires) groupe nominal,groupe verbal, complément d’objet second, déterminant, complément déterminatif, substitut…, ça vous parle ?
Le drame c’est que, non seulement la « Nouvelle Grammaire » représentait la rupture avec une tradition, une hiérarchie des valeurs et une démarche intellectuelle mais que, de plus, du fait du sentiment d’incompétence que les parents ont alors éprouvé, la conséquence de la rupture sur l’esprit des enfants n’a pas pu être atténuée.
En présentant faussement le langage comme un objet déconnecté, à « questionner », comme on dit, la nouvelle approche a ôté, pour les élèves, la seule justification de la grammaire qui est l’adhésion à un ensemble de règles et de valeurs reçu en héritage. Et la mise à l’écart des parents est venue parachever cette mise à distance.
Les parents des années 2010 ont été élevés avec la nouvelle grammaire. Parmi eux, certains ont décidé d’enseigner eux-mêmes la grammaire à leurs enfants. Ils ont recours à des manuels de leur choix. A mon sens ils apportent une partie de la solution au problème.
Véronique BRUNO, Enseignante
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