Orientation, le Guide de l'Enseignement Privé

Pour en finir avec le travail manuel !

La représentation que l’on se fait du travail manuel dans notre société est assez ambiguë : le discours le met en valeur, mais chacun développe les stratagèmes d’évitement et de contournement.

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Partons d’une anecdote de classe. Lors d’un projet technique en 3 ème Prépa Pro – la réalisation d’une maquette de projet architectural – je constatai que ces garçons et filles de 15 ans étaient incapables de tracer aux instruments un simple rectangle sur une feuille cartonnée, encore moins de le découper proprement avec des ciseaux. Alors vous vous interrogez.

Pourquoi cette désaffection du travail manuel dans notre société moderne ?

Il y a d’abord des racines historiques. Dans la Bible, l’homme, chassé du Paradis terrestre, doit travailler. Sous l’Antiquité, c’est l’otium (le loisir) des Romains – les Grecs disaient skholè qui donnera école ! – réservé et considéré comme la marque de l’homme libre. Pour la noblesse française, travailler c’est déchoir ; le travail manuel est une servitude de l’être.

L’inévitable tentation par l’ensemble de la population d’imiter les pratiques et d’emprunter le cadre de pensée de l’Aristocratie, a fait le reste.

Le travail manuel est aussi dévalorisé (= une perte de valeur, de plus-value) par les nouvelles organisations du travail nées au XIX ème siècle. Le taylorisme sépare la tête des mains et conduit aux cadences infernales qui marquent le travail manuel ; la production d’objets est décuplée mais l’ouvrier, manouvrier, compagnon est dépossédé de l’objet final produit, il n’est plus qu’un rouage anonyme dans une procédure.

Instrument du contrôle social mais aussi frein au développement les corporations défendaient la notion de chef d’œuvre, du travail bien fait pour valider les compétences de ces membres. Avec leur disparition le goût du « geste juste » est passé au second plan.

L’image de l’atelier sale, graisseux, encombré reste encore dans les esprits. Cette image dégradée du travail manuel est alors utilisée comme repoussoir ou punition : « Et si tu ne travailles pas à l’école … tu iras à l’usine mon fils ! ». Pourtant, allez visiter aujourd’hui les unités de production, quelles qu’elles soient, où tout est propre, rangé, épuré, feutré même…

Nous portons tous en nous ces paradigmes anciens. On les voit ressurgir au cours d’entretien, au détour d’une phrase vite corrigée – mais trop tard ! – comme celle-ci : « … mais ensuite ma fille pourra-t-elle rejoindre le circuit normal ? ». « Mais Madame, cette formation technique ou professionnelle est tout à fait normale ! ou bien « Il ne peut pas faire de longues études, il sera manuel ! », comme s’il fallait peu de temps pour apprendre l’expertise d’un geste technique ! et alors même que des parcours longs existent après un CAP.

Pointons aussi la part récente des évolutions de l’école. Un mot par exemple sur l’évolution de la matière technologie enseignée au collège; on est passé des TM, Travaux Manuels, des années 1970 aux TME, Travaux Manuel Educatif (les précédents ne devaient pas l’être aux yeux des penseurs de l’époque !), puis à l’EMT, Education Manuelle et Technique, puis à l’ET, Enseignement Technologique, et enfin à la Technologie des années 90. On appréciera l’évolution sémantique, des adjectifs aux substantifs pour arriver enfin à un vrai enseignement ! Une sorte de reconnaissance !

Mais on avait perdu en route le plaisir d’imaginer et de construire- dans une confrontation concrète avec la matière, avec les instruments – au profit de la rédaction de « gammes de fabrication », d’algorithmes et de devoirs écrits. Pas de réalisation mais du mental, pas d’objet créé mais des concepts. Du sérieux, quoi !

Exit la beauté du geste, l’apprentissage par l’essai-erreur, le coup d’œil exercé, la fierté d’avoir fait soi-même cet objet-là dont on apprécie les imperfections même.

Bien sûr, cette description est sans doute un peu caricaturale. Il est aussi important d’acquérir une culture technique moderne, faite de réflexion sur les processus de fabrication, de résolution de problèmes. Mais est-ce l’urgence en collège ? Ne s’est-on pas profondément trompé en reléguant le travail manuel au rang des vieilles lunes inutiles, des ringardises de radoteurs qui regardent derrière au lieu de regarder devant ? Et ce d’autant plus que la société s’urbanise totalement et que les métiers sont devenus invisibles.

Orientation2013-MD_page41_image1N’y a-t-il pas aussi une erreur pédagogique – ne pas laisser s’exprimer d’autres types d’intelligences ou d’habiletés alors que deux seules sont sollicitées massivement par l’école, la Logico-mathématique et la Verbale linguistique ? (voir l’article sur « Les Intelligences Multiples » de H Gardner).

N’est-ce pas oublier que les élèves ne sont pas que des cerveaux – il est vrai que lorsqu’ils sont assis, on ne voit plus guère que leur tête ! – et que le corps est un tout. Ce corps réclame son dû ; il bouge, s’agite, bavarde d’autant plus chez les moins « scolaires » de nos élèves dont la capacité à rester assis, à mentaliser, à abstraire est plus difficile.

Il faut écouter la demande des fédérations de métiers : avoir des jeunes qui maitrisent les gestes techniques de base des métiers, et non pas simplement savoir en parler ! Il faut même que des associations – par exemple « L’Outil en Main », « les Artisans Messagers » – fassent ce que l’école ne fait plus : organiser le rapprochement entre les élèves et le travail manuel.

Le travail manuel est pourtant un excellent support éducatif. Dans le travail manuel, le sens n’est-il pas donné avec le geste ? Mieux, la sanction est immédiate quand le geste est mauvais : la pièce casse, se tord, tombe … Ce n’est pas l’enseignant qui dit que « c’est faux », c’est l’objet lui-même, et lui, on ne peut pas le contredire ! Il faut admettre l’erreur, ne s’en prendre qu’à soi-même.

Couper l’enfance d’une certaine Relation à la matière et au vivant est une faute anthropologique. Notre monde occidental vit aujourd’hui la fin (provisoire ?) des paysans ; plus discrètement il vit aussi l’augmentation de la distance à la matière, à la nature au profit d’un monde virtuel survalorisé mais dont beaucoup soulignent les effets destructeurs.

Cette relation à la création, à l’imaginaire que fournit le travail manuel, à sa façon, calme l’angoisse existentielle. Tous les jeunes en ont besoin.

Alors, vive le travail manuel !

Faites confiance aux formations techniques qui existent après le collège ou plus tard après le lycée. Heureusement, elles remettent nombre de jeunes en projet, et redonnent aux métiers manuels leurs lettres de noblesse. Mais que de temps perdu et d’angoisses évitables !

Jacques Grosson, Chef d’Etablissement
LP St Joseph-Assomption, Lyon (69)

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